Au cours d'une discussion animée avec Ville, qui ressemblait presque à un
dialogue de sourds tellement nos visions d'un bon livre étaient divergentes,
je me suis rendu compte que ce qui faisait un bon livre à mon avis était
d'abord l'intrigue, puis l'univers et enfin la langue. Par exemple Les
Enfants de Ji sont écrits dans un style que je trouve immature, usant et
abusant de phrases exclamatives, bien que j'aie beaucoup aimé l'univers de Ji,
même si l'histoire s'est considérablement essouflée sur la fin. Dans le même
ordre d'idées, Les enchantements d'Ambremer ont un univers féérique que
j'aime particulièrement, une intrigue en forme d'enquête (qui finit
malheureusement de manière un peu plate) et un style bien plus adulte que
celui de Ji. Jésus video en revanche aurait dû me plaire (quoi de plus
intéressant de prime abord qu'un anachronisme avéré et un voyage dans le
temps ?), le style étant fluide, mais l'histoire en revanche était cousue de
fil blanc : on trouve une video du Christ, l'Église essaye évidemment de la
faire disparaître, ce qui fait que le Monde entier n'en saura jamais rien. Et
à la fin, les héros rencontrent évidemment le voyageur dans le temps juste
avant son départ. Le goût de l'immortalité, en revanche, même s'il a été
écrit par quelqu'un que je connais (j'ai croisé Katioucha sur f.m.b.l l'une ou
l'autre fois, même si elle ne se souvient probablement pas de moi) et que j'ai
lu son livre à cause de ça, ne m'a pas plu : le texte ressemble trop souvent à
une liste de listes, l'absence de dialogues en rend la lecture tout aussi
indigeste que le Silmarillon, et je commence à avoir ras-le-bol des
histoires de S.F. glauques qui montrent du doigt les mégacorporations qui
dirigent le monde et les pandémies qui déciment la population. Si j'avais
envie de lire des critiques du monde actuel, je lirais le journal, pas de la
fiction. Au contraire, j'ai gardé un meilleur souvenir de Quand les dieux
buvaient et de ses mondes absurdes. De son propre aveu, Kat a voulu écrire
quelque chose de « sérieux » et a comme par miracle reçu plein de prix
littéraires. Ce qui prouve bien que même en S.F., pour recevoir des prix en
rafale, il faut écrire des trucs chiants et sanglants. Rien de nouveau sous le
soleil : plus ça fait gerber et ça arrache de larmes, « meilleur » c'est.
En BD, par contre, le style du dessin semble avoir, à la réflexion, davantage
d'importance que l'histoire : j'aime bien le style surchargé et aux couleurs
trop contrastées d'Atalante et de Lanfeust, même si l'histoire semble
inventée au fil de la plume. Pareil pour Bone, où j'aime bien les
personnages arrondis. Dans Blake et Mortimer, c'est davantage l'univers qui
me plait, même si le style de dessin « ligne claire » me plait bien aussi.
En revanche, le monde glauque de Watchmen et le dessin aux couleurs
criardes, c'est pas trop ma tasse de thé.
Pour Ville par contre, ce qui semble le plus important ce sont les
personnages. Je veux bien croire qu'inconsciemment je sois sensibles à la
présence dans la narration de personnages aux caractères bien développés, mais
consciemment, non. Un livre avec des personnages tourmentés au possible, aux
passés lourds de souffrances et de crimes inavoués, s'il ne présente pas une
histoire plus intéressante que
« je t'aime, je t'aime pas, je t'aime, je
t'aime pas »
trouvera moins grâce a mes yeux que sa place dans une poubelle.
Je serais d'ailleur curieux de savoir si je peux trouver une histoire et
un univers qui me plaisent, où s'animent des personnages absolument pas
dévelopés, pour savoir si les personnages importent aussi peu au livre que
je ne semble le croire pour l'instant. Toujours est-il que Ville m'avait fait
lire The Killers de Hemingway, et que j'ai trouvé ça chiant à mourir, et
qu'il n'a pas compris pourquoi. Est-ce que c'est lui qui est trop
conventionnaliste et qu'il aime tout ce qui est classé « grande
littérature », ou c'est moi qui suis trop con pour apprécier la « grande
littérature » ?